
Tout le monde aime l'apéritif. Venant du latin "apertivus" qui signifie "ouvrir" c'est un moment convivial qui permet, comme son nom l'indique, d'ouvrir l'appétit avant le repas. Alcoolisé ou non, souvent accompagné de cacahuètes, de toasts ou d'autres amuse-gueule on laissera à chacun le loisir de choisir. Pour nous faire patienter avant son plat principal, le film Superman prévu cet été, James Gunn a choisi de nous servir un cocktail détonant mélangeant l'humour, l'action et le drame avec une dose de sexe, un soupçon de politique, et beaucoup de sang, mais surtout, des monstres. Un cocktail risqué baptisé : Creature Commandos.
Pendant la courte période où James Gunn avait été viré de chez Marvel Studios, suite à de sombres manigances de l'extrême droite américaine, la maison concurrente lui avait ouvert les portes pour réaliser l'excellent The Suicide Squad. Dans la foulée, le réalisateur prolifique avait écrit une série dérivée consacrée au Peacemaker qui rencontra un succès critique et public, poussant la plateforme MAX à continuer sa collaboration avec l'artiste. Ce dernier commença alors à développer une série d'animation inspirée d'une obscure équipe de l'univers DC : Creature Commandos. Peu de temps après, l'homme est approché pour devenir la nouvelle tête pensante de DC Studios et l'architecte des futures productions DC Comics sur écrans. Il valide alors sa série animée qui est annoncée comme la première pierre de ce nouvel univers cinématographique, où comme il le décrit lui-même un "apéritif" ou un "amuse-gueule" avant la pièce de résistance : Superman.

Mais qu'est-ce donc que les Creature Commandos ? À l'origine, ni plus ni moins qu'une équipe militaire opérant pendant la Seconde Guerre mondiale, composée de monstres où l'on peut retrouver pêle-mêle loup-garou, un vampire, une gorgone ou encore le monstre de Frankenstein. Des versions plus modernes de l'équipe ont ensuite existé, mais Gunn choisi de réinventer le concept en repartant sur les bases de sa Suicide Squad. Le gouvernement américain n'a désormais plus le droit d'utiliser des criminels humains pour effectuer ses "missions suicide" et contourne le problème en recrutant de force des détenus que l'on ne peut plus vraiment considérer comme humains.
C'est ainsi que supervisé par la redoutable Amanda Waller, le colonel Rick Flag Sr. se retrouve à devoir embarquer une équipe des plus étranges pour une dangereuse mission. Sous ses ordres on y retrouve le Dr. Phosphorus un psychopathe meurtrier aux pouvoirs radioactif, Weasel une curieuse créature sauvage accusée du meurtre de 27 enfants, Nina Mazursky, un hybride entre une femme et un poisson, G.I. Robot, un androïde habité par l'obsession de tuer des nazis et enfin la Fiancée, conçue il y a des années par le docteur Frankenstein pour tenir compagnie à son célèbre monstre. Cette joyeuse équipe aura pour objectif de protéger la princesse du Pokolistan, un pays fictif face à un groupuscule d'extrême-droite mené par la sorcière Circé, issue de la mythologie grecque. Mais les choses ne sont parfois pas ce qu'elles sont et notre équipe aura fort à faire, surtout lorsque le monstre originel de Frankenstein réapparaît pour retrouver sa fiancée, le tout sur fond de musique punk rock américano-ukrainienne du groupe Gogol Bordello.

Tout cela forme un sacré bazar, donc seul l'esprit de James Gunn pouvait en tirer une série cohérente et réussie. Il faut dire que le réalisateur a l'expérience des équipes dysfonctionnelles après dix années à raconter les aventures des Gardiens de la Galaxie. La parenté entre les deux projets est plus qu'évidente celle de criminels, de monstres et de rebuts de la société qui vont finir par former une famille choisie. La différence se fait ici sur un point non négligeable, à quelques exceptions, nos personnages ne sont pas ce qu'on pourrait qualifier de héros, loin de là et leurs actions sont, plus que discutables, totalement immorales. Plus trash, plus vulgaire, n'hésitant pas à verser dans le politiquement incorrect Gunn profite des libertés offertes par l'animation, s'éclate et revient aux origines de sa carrière. Petite fierté chauvine, la série est animée par le studio français Bobbypills qui effectue un travail remarquable trouvant un équilibre juste entre le cartoon et le réalisme. L'animation dynamique fonctionne à merveille avec le scénario rythmé et multiplie les environnements différents, du château de Frankenstein à la prison de Belle Reve en passant par Gotham City ou le Pokolistan, donnant à la série une identité cosmopolite mais bien identifiable. La comparaison est plutôt douloureuse pour les autres séries adaptées de comics comme Invincible ou What If...?.
Après un premier épisode peut-être trop introductif en forme de note d'intention, la série démarre vraiment avec le second et l'on comprend vite le concept. En parallèle du récit central qui s'étale sur les sept épisodes, chacun d'entre eux s'intéressera à l'un des membres de l'équipe et nous racontera son histoire en flashback. L'une des forces du scénariste est de réussir à prendre le personnage le plus insignifiant ou tordu, celui sur lequel vous n'auriez jamais misé, pour en faire un protagoniste passionnant qui vous arrachera des rires ou des larmes, au choix. Ces retours en arrière sont d'ailleurs la force de la série bien plus que son histoire principale assez peu inspirée et l'on est prêt à parier que G.I. Robot, Weasel, La Fiancée ou le Dr. Phosphorus gagnent une place dans votre cœur.

Mais l'écriture et les dialogues de la série ont la chance d'être portés par un casting vocal de grande qualité qui a d'ailleurs été pensé pour que les comédiens de doublages puissent un jour incarner à l'écran leur personnage. On notera particulièrement les performances de David Harbour hilarant en monstre de Frankenstein qui tient plus du stalker que de la figure tragique, mais aussi Indira Varma épatante dans le rôle de sa fiancée ainsi que la prometteuse Maria Bakalova dans le rôle de la princesse du Pokolistan. Habitué du doublage, l'excellent Alan Tudyk aussi vu dans Rogue One, est impeccable dans le rôle du Dr. Phosphorus. Incarnant déjà une sorcière dans la série The Witcher, Anya Chalotra enfile ici le costume de Circé. Bien évidemment, Viola Davis reprend son rôle d'Amanda Waller et Sean Gunn, frère du réalisateur est encore une fois de la partie incarnant à la fois l'émouvant G.I. Robot et l'indescriptible Weasel. On a déjà hâte de retrouver ces personnages dans la saison 2, déjà annoncée ou même dans d'autres films ou séries.
Plus qu'un apéritif, ce Creature Commandos est déjà un gros morceau en lui-même. Une série dense qui ouvre grand les portes de l'univers DC Comics avec l'introduction de nombreux personnages et des caméos savoureux et intelligents. La seule fausse note à cette partition serait son récit principal finalement peu intéressant et à la fin trop abrupte. Mais qu'importe, la force de la série réside bien évidemment dans son escouade de monstres et les flashbacks qui nous racontent leurs histoires.
Mais avant toute chose, prenons le temps de bien digérer tout cela avant le mois de juillet prochain, où nous découvrirons Superman écrit et réalisé par le même James Gunn. C'est d'ailleurs là où l'on peut s'interroger. La trilogie des Gardiens de la Galaxie, The Suicide Squad et Creature Commandos sont en effet conçus dans un moule similaire, mais il n'en a va pas de même pour le plus grand des super-héros, ce qui représente un vrai défi pour le réalisateur. On espère qu'après un apéritif aussi réussi, le plat de résistance remplit toutes ses promesses.
Creature Commandos - créé et écrit par James Gunn - musique composée par Kevin Kiner & Clint Mansell - Avec Indira Varma (La Fiancée), Frank Grillo (Rick Flag Sr.), Alan Tudyk (Doctor Phosphorus / Clayface / Will Magnus), Sean Gunn (Weasel / G.I. Robot), Zoë Chao (Nina Mazursky), David Harbour (Eric Frankenstein), Maria Bakalova (Princess Ilana Rostovic), Anya Chalotra (Circee), Viola Davis (Amanda Waller), Steve Agee (John Economos), Peter Serafinowicz (Dr. Victor Frankenstein), Maury Sterling (Sgt. Rock) et Benjamin Byron Davis (Rupert Thorne) - 7 épisodes - 21 à 26 minutes - diffusée entre le 5 décembre 2024 et le 9 janvier 2025.
Toutes les images présentes dans cet article sont la propriété de DC Studios.
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