
On estime qu’entre 103 000 et 220 000 personnes ont perdu la vie lors des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki, les 6 et 9 août 1945. Un lourd bilan auquel s’ajoutera de nombreux décès liés aux radiations. Ravageant un Japon déjà exsangue par des années de guerre, cette unique utilisation de l’arme atomique durant un conflit mettra fin à la Seconde Guerre mondiale le 2 septembre 1945. Au début des années 1950, le pays essaye difficilement de se reconstruire mais les séquelles de la Guerre et des frappes nucléaires restent prégnantes dans la société japonaise. Un traumatisme qui, en 1954 va prendre les traits du plus célèbre des kaijus : Godzilla - ou Gojira pour la prononciation originale.
Réveillé par les essais nucléaires américains de l’après-guerre, une gigantesque créature préhistorique irradiée, utilisant un souffle atomique destructeur, s'en ira détruire le Pays du soleil levant. Manifestation des angoisses d’une société meurtrie, Godzilla deviendra l’un des plus grands symboles du Japon dans la culture populaire, une figure ambivalente alternant entre le rôle de gardien protecteur et celui de fléau dévastateur. Soixante-dix ans après sa création, le roi des monstres revient pour un trente-septième film qui offre un nouveau départ à la saga : "Godzilla Minus One".
Kōichi Shikishima est un homme qui ne devrait pas être en vie. Enrôlé parmi les pilotes-kamikazes de l’aviation japonaise, le jeune soldat aurait dû mourir pour son pays. La fin du conflit approchant, il refuse ce sacrifice et prétexte une avarie de son véhicule pour se poser sur une petite île du Pacifique. Là, il est le témoin d’une attaque nocturne causée par une créature antédiluvienne qui provoque la mort de tous ses camarades. De retour au pays, il retrouve une nation dévastée et une population brisée. Il doit vivre avec la mort de ses parents, tués par une bombe incendiaire, et faire face au regard des autres qui voient en lui un lâche, qui aurait dû donner sa vie pour protéger son pays. Kōichi va alors croiser la route d'une jeune femme et d'un nourrisson qui vont petit à petit lui donner une raison de vivre.

Mais hanté par son complexe du survivant l’ex-kamikaze n’arrive pas à être heureux et vivre pleinement. Au même moment, une gigantesque créature émerge des océans et menace le Japon. Le jeune homme y reconnaît alors le monstre qu’il avait vu à la fin de la guerre, mais irradié par une explosion nucléaire, il atteint désormais une taille colossale. Ne voulant pas faire escalader les tensions avec l’URSS, les États-Unis refusent de venir en aide à l’Archipel Nippon qui devra faire face seul. Kōichi y voit l’occasion de se racheter, et d’accomplir enfin sa destinée de kamikaze. Mais donner sa vie en vaut-il vraiment la peine ? Un dilemme qui déchire notre héros ainsi qu'une génération modelé sur ce principe.
Créature ancestrale réveilléE par l’activité humaine, Godzilla est un avatar des catastrophes naturelles qui nous menacent mais incarne aussi un péril plus artificiel, celui du nucléaire et par extension des innovations humaines. Face au caractère inéluctable de ce danger qui pèse au-dessus de nos têteS, nous semblons impuissants, en proie à des angoisses profondes qui peuvent nous empêcher d’avancer et d’espérer. Takashi Yamazaki livre un film virtuose qui nous parle autant du Japon d’hier que d’aujourd’hui. L’on pourrait presque y voir un film nationaliste mais le réalisateur s’en prend autant au gouvernement américain qu’à celui de son propre pays, il y dépeint des dirigeants amorphes - même totalement absent - qui sont incapables de venir en aide à leurs populations. La solution ne viendra pas d'en haut, mais d'en bas, via une initiative populaire menée par des citoyens engagés.

Godzilla Minus One prend alors le contrepied de Shin Godzilla, dernier film japonais consacré au roi des Kaijus sorti en 2016. Ce dernier plaçait son histoire à notre époque et s'apparentait à un blockbuster bureaucratique centré sur les forces politiques du pays, et leurs réactions face à l'arrivée du fléau Godzilla. Le long-métrage de Hideoki Anno proposait d'ailleurs une version du monstre d'ailleurs inamovible, plus statique que la dernière en date. Dans ce nouveau long-métrage, le réalisateur place son récit juste après la Seconde Guerre mondiale - donc avant l'invention du Roi des Kaijus - et installe son récit à hauteur d'homme, au plus proche du peuple. Cela donne naissance à des séquences de destruction poignantes et immersives dans lesquelles le spectateur se sent aussi désemparé que les personnages du film. Shin Godzilla et Godzilla Minus One nous apparaissent alors comme les deux faces d'une même pièce, et cela n'est pas pour rien qu'il s'agit certainement des deux meilleures adaptations du lézard géant.
Godzilla Minus One est probablement l'un des meilleurs films de l'année 2023. Fort d'un succès surprise, le long-métrage de Takashi Yamazaki a traversé les frontières - une rareté pour un Godzilla japonais ! - et mérite d'être vu. La mondialisation du film a certainement été possible grâce à un scénario plus proche des codes des blockbusters américains que les versions précédentes, mais il n'en reste pas moins une œuvre authentiquement japonaise qui parle des traumatismes passés et présents de ce pays. Un immanquable.
Godzilla Minus One – réalisé par Takashi Yamazaki – écrit par Takashi Yamazaki - musique composée par Naoki Satō - Avec Ryūnosuke Kamiki (Kōichi Shikishima), Minami Hamabe (Noriko Ōishi), Yuki Yamada (Shirō Mizushima), Munetaka Aoki (Sōsaku Tachibana), Hidetaka Yoshioka (Kenji Noda), Sakura Andō (Sumiko Ōta), Kuranosuke Sasaki (Yōji Akitsu) et Miou Tanaka (Tatsuo Hotta) - 125 minutes - tous publics - sortie le 7 décembre 2023.
Toutes les images présentes dans cet article sont la propriété de Tōhō Studios.
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