
En 2018, le grand public découvrait l’histoire de Miles Morales, un jeune afro-américain de 13 ans qui allait devenir le nouveau Spider-Man. Épaulé par des versions alternatives de l’homme araignée - dont Peter Parker, Gwen Stacy ou encore un cochon - l’adolescent allait murir tout en apprenant à dompter ses pouvoirs. Et le monde allait comprendre qu’il n’y a pas un seul et unique Spider-Man mais que le héros et ses valeurs sommeillent en chacun de nous. Aujourd’hui, Miles et ses compagnons arachnéens sont de retour dans un nouvel opus dans lequel notre héros va comprendre ce qu’implique réellement de devenir Spider-Man, et devoir lutter pour écrire sa propre version de l’histoire, à l’encontre de tous les diktats et les algorithmes.
Passé relativement inaperçu en salle fin 2018, Spider-Man : Into the Spider-Verse avait par la suite connu une seconde vie grâce à ses excellents retours - à la fois public et critique - ainsi qu’à de nombreux prix, notamment l’Oscar du meilleur film d’animation. Il faut dire que le film offrait une expérience inédite aux spectateurs grâce à une imagination sans bornes dans sa mise en scène et sa réalisation, un casting vocal impeccable, une bande originale virtuose et un traitement rafraîchissant de l’univers de Spider-Man. L’annonce d’un second opus apparaissait alors comme une évidence et suscitait autant l’excitation que la crainte : comment le studio allait-il pouvoir produire une œuvre aussi réussie voire meilleure ?

Il semble bien que oui, car Spider-Man : Across the Spider-Verse offre une nouvelle fois une expérience sensorielle et émotionnelle intense. Certes la surprise ressentit pour la première fois il y a 5 ans n’est plus présente, mais le film réussit à marcher dans les pas de son ainé et même à le transcender par moment. Un seul point négatif est à relever : le fait qu’il s’agisse d’une histoire en deux parties. En effet, le film prend son temps pour installer ses enjeux et ses personnages, peut-être parfois un peu trop et l’on peut ressentir quelques longueurs. Toutefois l’extrême générosité dont font preuve l’équipe créative et l’inventivité débordante du long-métrage permettent largement de passer outre ce petit bémol.
Le trio de réalisateur à l’origine de cette suite n’est pas le même que celui qui nous avait offert le premier film, mais l’on retrouve toujours les vrais architectes de cette saga : Phil Lord et Chris Miller à la production et l’écriture. La continuité est donc assurée et l’on replonge avec un plaisir non dissimulé dans ce spider-verse. Les réalisateurs ne s’imposent aucune limite quant à ce que leur permet l’animation et utilisent tout ce qui est possible pour que la mise en scène serve le récit et ses personnages : intégration de texte, changement de couleurs, superposition d’images, mélange de différents style d’animation… Chaque plan déborde d’idées et de générosité.

Du côté de l’intrigue, après avoir posé les bases et les codes du multivers dans le film précédent, les auteurs peuvent maintenant s’amuser et dévoiler - presque - tout le potentiel que permet cet outil narratif, tout en développant ses personnages. Il est alors impossible de ne pas repenser à Spider-Man : No Way Home qui fait une utilisation paresseuse de ce concept, où encore Doctor Strange in the Multiverse of Madness qui sait se montrer ludique mais n’ose jamais déborder du cadre. Spider-Man : Across the Spider-Verse utilise cet infinité d'univers pour toutes sortes d’expérimentation visuelles et scénaristiques, et livre au passage une charge contre l’uniformisation des blockbusters et par extension de la fameuse formule Marvel Studios dont les limites deviennent étouffantes. Tout le long du film Miles, tout comme son futur adversaire La Tâche - The Spot en VO - sont sans cesse renvoyés à un schéma ou à une case dans laquelle ils doivent rester, mais les deux refusent de suivre ce chemin balisé pour tracer leur propre route quitte à se mettre le multivers à dos.
Le film développe alors un propos sur le déterminisme, et on ne pourra qu’apprécier le choix de l’antagoniste du film pour cela. The Spot est un super-vilain Marvel de douzième zone au design et aux pouvoirs ridicules, quasiment inconnu du grand public, que l’on s’attendait à n’être qu’en second rôle amusant. Le début du film le présente d’ailleurs bien comme tel, un criminel peu dangereux dont on se moque allègrement. Mais à la surprise générale - du public et des personnages du film - il finit par devenir une figure tragique et menaçante, le personnage qui nous faisait rire il y a quelques instants finit par nous remplir d’effroi. En lien avec le déterminisme - forcément - le film comme son prédécesseur continue de poursuivre la thématique familiale en creusant le sujet plus profondément avec l’apparition d’autres familles : Gwen et son père, Peter et sa fille Mayday, Miguel et sa famille disparue… Ce qui contribue à faire de ce long-métrage une œuvre intergénérationnelle qui questionne autant le rôle de parent que celui d’enfant. À n’en pas douter quelques larmes risquent de couler.

La construction des personnages est l’une des véritables forces du film et tout ne passe pas nécessairement par l’écriture, prenons l’exemple de Spider-Punk qui n’a pas de réel développement écrit, mais tout son apport au film passe simplement par quelques répliques et surtout par son esthétique. Cet anarchiste revendiqué dénote des autres personnages par un style d’animation et des couleurs mouvantes qui le rende insaisissables, une sorte de bug dans la matrice de l’ordre établi du spider-verse. Les scénaristes et réalisateurs du film utilisent tous les éléments à leur disposition : l’écriture, la musique, le montage, l’animation, le cadrage pour raconter une histoire cohérente et complète. Le casting vocal du film est toujours aussi exceptionnel avec les retours de Jake Johnson, Shameik Moore et bien sûr Hailee Steinfeld, mais l’on y accueille des comédiens aussi talentueux que Oscar Isaac, Daniel Kaluuya, Shea Whigham, Issa Rae ainsi que d’autres petites surprises des plus savoureuses. Du côté de la bande originale, Daniel Pemberton rempile et livre une partition qui sans être aussi marquante que la précédente, sert à merveille le film et son propos en immergeant le spectateur dans cette aventure intense.
Ce retour au sein du spider-verse ne laisse encore une fois pas indifférent. Spider-Man : Across the Spider-Verse est une oeuvre dense et généreuse qui souffre malheureusement de n’être que la première partie d’une fresque plus vaste et dont on attendra la conclusion pour avoir un avis définitif sur la question. Cependant, le visionnage du film est une expérience à ne pas manquer en salle et que l’on ne peut que vous conseiller. Un film iconoclaste en tous points qui veut briser la formule du blockbuster classique. Miles veut écrire sa propre histoire et s’affranchir des codes et l’on a hâte de le voir à l’oeuvre.
Spider-Man : Across the Spider-Verse – réalisé par Kemp Powers, Joaquim Dos Santos et Justin K. Thompson – écrit par Phil Lord, Chris Miller et Dave Callaham - musique composée par Daniel Pemberton - Avec Shameik Moore (Miles Morales), Hailee Steinfeld (Gwen Stacy), Oscar Isaac (Miguel O'Hara), Jake Johnson (Peter B. Parker), Brian Tyree Henry (Jefferson Davis), Lauren Vélez (Rio Morales), Jason Schwartzman (La Tâche), Issa Rae (Jessica Drew), Daniel Kaluuya (Spider-Punk), Karan Soni (Pavitr Prabhakar), Shea Whigham (George Stacy) et Andy Samberg (Ben Reilly) - 136 minutes - tous publics - sortie le 31 mai 2023.
Toutes les images présentes dans cet article sont la propriété de Sony Pictures.
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