
De malfrat ridicule à gangster impitoyable, le Pingouin est depuis 1941 l'un des plus anciens adversaires de Batman. Figure incontournable de l'univers du Chevalier noir, le personnage est pourtant souvent utilisé comme un second couteau de luxe, agissant dans l'ombre, plutôt qu'un antagoniste de premier plan. Il n'occupe d'ailleurs qu'un rôle secondaire dans le film The Batman de 2022, où il est incarné par Colin Farrell. À l'annonce d'une série dérivée, il était donc légitime de se demander si le vilain avait ce qu'il fallait pour voler de ses propres ailes.
Le Pingouin et les écrans, c'est une longue histoire. Alors qu'il avait perdu en popularité entre la fin des années 1950 et le début des années 1960, le personnage connaît un regain d'intérêt grâce à l'interprétation de Burgess Meredith - inoubliable Mickey de la saga Rocky - dans la cultissime série télévisée Batman et le film dérivé. En 1992, c'est cette fois-ci Danny DeVito qui enfilera le haut de forme du vilain pour Tim Burton, dans le film Batman Returns, livrant une interprétation fabuleuse, volant la vedette à tout le casting. Deux versions cultes mais très différentes du personnage, qui auront marqué le public durant des années. En parallèle, le volatile est présent dans presque toutes les adaptations animées ou télévisuelles du Croisé masqué. Lorsque Matt Reeves décide de le réutiliser, il prend à son tour une direction différente de ses prédécesseurs. Exit l'aristocrate haut en couleurs fasciné par les oiseaux et les parapluies. Oswald Cobb - et non plus Cobblepot - est ici un enfant issu d'un milieu populaire qui tente de faire sa place au sein de la pègre, et ce peu importe le prix à payer. Le rêve américain pourrait-on dire.

Lors du grand final de The Batman, une partie de la ville était noyée sous les flots, et Carmine Falcone, grand parrain de la pègre, a été tué. Le chaos provoqué par ces événements représente une aubaine pour tous les ambitieux qui souhaitent prendre le pouvoir, et Oswald "Oz" Cobb est l'un d'eux. Il va prendre sous son aile un jeune garçon des rues, et fidèle à sa réputation, va semer la zizanie dans le monde du crime organisé, pour tenter de se hisser au sommet, n'hésitant pas à faire preuve d'une grande cruauté.
Trop souvent, les oeuvres consacrées à des vilains - Kraven, Venom, Suicide Squad... - trichent et font de leurs protagonistes des héros ou anti-héros. Ils n'agissent finalement jamais comme des méchants, et ne commettent jamais d'actions qui pourraient susciter la désapprobation du spectateur. Ce n'est ici pas le cas. Du premier au dernier épisode, Oswald est un authentique salaud. Plus le personnage gravit les échelons du crime organisé, plus il descend dans la vilenie, et certains de ses actes ne pourront que provoquer le dégoût du spectateur. Habité par le personnage, Colin Farrell livre une prestation sans fausse note et porte sur lui la première partie de la série, avant de se faire voler la vedette par Cristin Milioti, envoûtante dans le rôle de Sofia Falcone, fille de l'ancien chef de la pègre.

Anciennement internée à l'asile d'Arkham, la jeune femme est de retour dans la vie mondaine de Gotham City et va se retrouver sur la route du Pingouin. D'allié à adversaire, une relation complexe va se nouer entre les deux, mais que ce soit par son interprétation ou son écriture, Sofia devient finalement l'attrait principal de la série sur sa seconde partie. Il y a en effet une véritable bascule à partir du quatrième épisode, et l'on se demanderait presque si la direction originelle du projet n'a pas été modifiée en cours de route. La première partie est en effet une sorte de contrefaçon pas forcément déplaisante des Sopranos, avant de trouver sa véritable identité et de gagner en qualité sur sa seconde moitié.
Pour ses quatre derniers épisodes, la série s'assume enfin comme une œuvre à part entière et non plus un pastiche de show mafieux. L'histoire se recentre sur le conflit entre Oz et Sofia, dévoile leur passé et assume d'être un spin-off de The Batman et de la mythologie qui va avec. Le fameux quatrième épisode, charnière de la saison, se déroule entièrement au sein de l'asile d'Arkham, et nous fait regretter l'annulation d'une production dédiée à ce lieu au sein de cet univers. Mais qui sait, le succès critique et public de la série fera peut-être bouger les choses ?

Visuellement, la série s'inscrit à merveille dans l'univers développé par Matt Reeves et l'enchaînement entre The Batman et The Penguin se fait sans mal. C'est plutôt narrativement que la continuité apparaît parfois bancale. Les évènements dévastateurs de la fin du film sont en effet très rapidement expédiés et l'on se demande s'ils ont vraiment eu lieu, mais surtout : où est Batman ? Si son absence du récit principal est justifié afin de permettre à Oswald d'être développée, le fait qu'aucune mention ne soit faite du Chevalier noir paraît étrange, surtout que des incidents d'ampleurs ont lieu au cours de l'histoire. Un caméo, une mention dans un journal télévisé ou sur une coupure de journal aurait été bienvenue pour renforcer la cohérence de l'univers, l'animé récent Creature Commandos ne s'en est par exemple pas privé. L'absence du héros risque d'être difficile à justifier quand il sera confronté aux conséquences de la série dans son prochain film.
En 1992, Batman se faisait voler la vedette de son film par son adversaire, le Pingouin. Ici, c'est Oswald qui finit par se faire damer le pion par son antagoniste, Sofia Falcone. Après Riddler : Année Un, l'univers inauguré par The Batman continue de se développer, écrivant une nouvelle page de l'histoire du justicier de Gotham. Le second film ayant été encore repoussé, on espère que les producteurs poursuivront de développer cet univers par d'autres moyens pour nous faire patienter, le final de la série ouvrant d'ailleurs une porte intéressante. On pourrait délaisser Oz et se concentrer sur d'autres centres d'intérêts de la ville tels que le GCPD, l'asile d'Arkham ou même le personnage de Catwoman. Le pari est donc réussi, la série est un succès et Oz, parvenu au sommet, vole désormais très haut au dessus de Gotham, mais une chauve-souris risque de rapidement lui rappeler que les pingouins ne volent pas
The Penguin - créé par Lauren LeFranc - musique composée par Mick Giacchnino - Avec Colin Farrell / Ryder Allen (Oswald "Oz" Cobb / The Penguin), Cristin Milioti (Sofia Gigante / Falcone), Rhenzy Feliz (Victor "Vic" Aguilar), Deirdre O'Connell / Emily Meade (Francis Cobb), Clancy Brown (Salvatore Maroni), Mark Strong (Carmine Falcone), Michael Kelly (Johnny Vitti), Carmen Ejogo (Eve Karlo), Michael Zegen (Alberto Falcone), Theo Rossi (Dr. Julian Rush), Con O'Neill (Mackenzie Bock), Jayme Lawson (Bella Reál), James Madio (Milos Grapa), Scott Cohen (Luca Falcone) et Shohreh Aghdashloo (Nadia Maroni) - 8 épisodes - 47 à 68 minutes - diffusée entre le 19 septembre et le 10 novembre 2024.
Toutes les images présentes dans cet article sont la propriété de DC Studios.
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