
Qui est Zorro ? Depuis sa première apparition en 1919 sous la plume de Johnston McCulley, le personnage ne cesse de fasciner. Il quitte rapidement les pages des gazettes illustrées pour devenir un héros de romans, de cinéma, de série télévisée, mais aussi de bandes dessinées. Justicier masqué qui fait régner la justice de la pointe de l'épée, il deviendra la source d'inspiration de nombreux super-héros, Batman en tête. Mais au final, peu d'œuvres se seront autant intéressés à la psychologie du héros que celle dont nous allons parler ce jour.
Absent des écrans depuis près de vingt ans maintenant - à l'exception d'un dessin animé en 2016 -, Zorro a fait son grand retour en 2024 avec deux séries télévisées. La première, d'origine espagnole est à retrouver gratuitement sur M6+, et offre un regard moderne sur la figure du justicier masqué. La seconde, sur laquelle l'on va s'arrêter aujourd'hui est une adaptation française, même si le terme de "réinterprétation" serait peut-être plus juste pour qualifier la vision de Benjamin Charbit et Noé Debré.

Il s'agit d'un hommage à la figure de Zorro, et en particulier la série culte diffusée entre 1957 et 1961 par Disney, qui à force de rediffusion a fini par devenir une image d'Épinal du Cavalier noir. Cette nouvelle version pourrait presque être vu comme une "suite" très libre. L'esthétique et les décors sont en effet très similaires, tout comme les personnages principaux : Jean Dujardin remplace le légendaire Guy Williams sous le masque, Grégory Gadebois se glisse dans la tunique du Sergent Garcia - même s'il n'est jamais appelé ainsi - à la place de Henry Calvin, Salvatore Ficarra reprend le rôle du serviteur muet Bernardo, tenu à l'époque par Gene Sheldon et enfin l'excellent André Dussollier enfile la tenue de Don Alejandro de la Vega, père du héros incarné à l'époque par George J. Lewis. À ce casting, s'ajoute deux nouvelles têtes : Doña Gabriella, la femme de Don Diego interprétée par Audrey Dana, et le vil Don Emmanuel à qui Eric Elmosnino prête ses traits.
À l'image du personnage absent sur nos écrans depuis des années, personne n'a plus vu Zorro arpenter les plaines de la Californie espagnole depuis maintenant vingt longues années. Estimant que l'on n'avait plus besoin de lui, Diego a en effet raccroché les gants pour mener une vie paisible avec sa femme Gabriella, qui ignore tout de la vie secrète de son mari. Mais une succession d'événements vont le forcer à enfiler le masque de nouveau pour amener la paix et la justice dans les rues de Los Angeles. Toutefois l'époque n'est plus la même, et Diego va rapidement s'en rendre compte, les temps ont changé, les gens aussi, à commencer par lui.

Attention, malgré ce que pourrait laisser penser son générique délicieusement rétro, ne vous attendez pas à une série d'aventures classiques dans laquelle Zorro enfile sa tenue pour affronter des brigands et des gardes espagnols le sourire aux lèvres. Ce n'est pas ce qui intéresse nos scénaristes, la comparaison avec l'ancienne série s'arrête ici, et c'est tant mieux. C'est ici une psychanalyse du personnage à laquelle nous allons avoir droit. Zorro apparaît comme le "Ça" de Diego, une personnalité énergique, enfouie, qui n'apparaît que masqué afin de laisser libre cours aux pulsions héroïques et même sexuelles du héros, qui est impuissant avec sa conjointe s'il ne porte pas son costume. A contrario, sous son identité civile, Diego apparaît comme une personne plus juste et mesurée, mais totalement introvertie qui n'arrive pas à s'assumer pleinement, se fait marcher dessus et s'efforce d'effacer Zorro. Mais il aura beau brûler son costume, prendre sa retraite, le renard finit toujours par ressurgir. Le véritable ennemi de Diego est cette fois-ci lui-même, il doit réussir à faire coexister ses deux personnalités en une seule afin de ne plus être un homme divisé, presque en proie à une dissociation de l'identité. Une lecture du personnage neuve et réussie grâce au jusqu'au boutisme de son écriture et de sa mise en scène. Mais il s'agit d'un parti pris qui pourra toutefois dérouter, tout comme le ton du récit.
Cette thérapie de Zorro se fait en effet sous couvert d'un humour absurde, qui peut parfois être très réussi et juste, mais qui parfois tombe totalement à plat. Un ton qui vaudra de nombreuses comparaisons avec les films OSS 177, mais les deux productions sont au final très différentes et le parallèle n'a pas vraiment raison d'être. La trilogie consacrée au plus français des espions était en effet une parodie des films d'espionnage et une critique de la France néo-coloniale et conservatrice. Son héros y était à la fois stupide et ridicule, ce qui n'est ici pas le cas de la double figure Zorro / Don Diego. Même s'il est parfois tourné en dérision, il n'est pas question de parodier le héros, jamais son héroïsme et sa bravoure ne sont remis en question et Zorro se montre toujours capable de réaliser des exploits. Quant à sa contrepartie civile, qui apparaît comme un gentil loser, il n'en reste pas moins un homme bon, animé par des valeurs de justice et avec des projets pour la ville de Los Angeles. Ce dosage de l'humour parfois malheureux a peut-être valu à la série d'être mal interprétée.

Ce n'est pas une parodie à laquelle on assiste, mais à un vaudeville, sauf qu'ici, le rôle de l'amant et du mari sont tenus par la même personne, sans que la femme ne sache que l'un et l'autre sont qu'un. Un ménage à trois savoureux qui donne lieu à des séquences dignes des grandes pièces de théâtre du genre, et nous offre une thérapie de couple inédite portée par le talent de Jean Dujardin et d'Audrey Dana. L'ensemble du casting est d'ailleurs au diapason, avec un André Dussollier qui semble s'éclater en père viriliste qui revient tourmenter son fils d'outre-tombe. Grégory Gadebois donne au sergent une nouvelle dimension, presque poétique loin de l'imbécile heureux que l'on connaissait. Quant à Eric Elmosnino, il excelle dans le rôle de l'industriel véreux, critique du capitalisme mais surtout de l'ubérisation de notre société, qui se retrouve intelligemment retranscrite dans le Los Angeles de 1821.
Psychanalyse du héros, thérapie de couple, hommages, vaudeville... Cette nouvelle itération de Zorro essaye d'être beaucoup de choses et c'est peut-être là son problème principal. En essayant de jouer sur plusieurs tableaux, il est difficile de voir une cohérence d'écriture sur l'ensemble du projet et les différentes tonalités humoristiques ne se conjuguent parfois pas de manière harmonieuse. Pourtant, bien que déroutante au premier abord, car ce n'est pas ce que l'on pourrait attendre d'une histoire de Zorro, la série est finalement bourrée de qualité. Son plus grand défaut est aussi sa plus grande force, car l'écriture est malgré tout riche, pleine de bonnes idées et pousse tous ses concepts jusqu'au bout. La mise en scène d'Émilie Noblet et Jean-Baptiste Saurel est elle aussi très réussie et met en valeur les choix narratifs ainsi que les décors - réels - et les costumes. De manière générale, des moyens ont été alloués, et cela se ressent à l'écran, mais aussi à l'écoute avec une bande originale de qualité signée Julie Roué. Imparfaite, cette série est loin d'être ratée, c'est un objet curieux que nous apprécié, et que nous vous invitons à voir.
Zorro - créé Benjamin Charbit & Noé Debré - musique composée par Julie Roué et Isabelle Laudenbach - Avec Jean Dujardin (Zorro / Don Diego de la Vega), Audrey Dana (Doña Gabriella de la Vega), André Dussollier (Don Alejandro de la Vega), Salvatore Ficarra (Bernardo), Grégory Gadebois (Sergent Cristóbal Garcia), Éric Elmosnino (Don Emmanuel) et Baltasar Espinach (Nakaï) - 8 épisodes - 21 à 26 minutes - sortie le 6 septembre 2024.
Toutes les images présentes dans cet article sont la propriété de Paramount.
Zorro est aussi à retrouver en bande dessinée :
Zorro : D'entre les morts - Sean Murphy (scénario & dessin) - Urban Comics - 20,00 €
Zorro - La Légende - Alex Toth (scénario et dessin) - Urban Comics - 31,00 €
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